29 janvier, 2018

Les moments de grâce du marquis du mardi !


Depuis quelques temps déjà, je reçois tous les mardis un jeune marquis. Ce n'est pas le premier "aristo-catho" que je reçoive : loin de là ! J'ai à mon palmarès une collection de comtes, marquis et autres ducs à faire pâlir le meilleur des rallyes versaillais. Il se trouve que je collabore avec un vieux psychiatre catholique très investi dans les œuvres qui me les envoie par dizaines ou presque. A croire qu'il s'en est fait une spécialité !

Mais ce marquis là est spécial. Non du fait qu'il vive à Passy, c'est assez peu rare un marquis dans ces environs, ni qu’il soit particulièrement bien éduqué, c'est assez commun chez ces gens là aussi. On pourra entonner tous les chants révolutionnaires que l'on voudra, force est d'admettre que ce que l'on nomme la "vieille France" a de beaux restes en termes d'élégance et d'éducation.

Il se trouve simplement que mon marquis à moi, loin de la grossière caricature du "fin de race" que les rageux veulent toujours donner de l'aristocratie; est un modèle du genre. Brillantissime, cultivé à l'extrême, plein de jolies manières et pétri de bonne éducation, il n’hésite pourtant pas à jurer lorsque c'est nécessaire, prouvant là, qu'il est tout à fait capable de discuter avec la classe populaire si d’aventure l'idée lui venait.

Ce qui me charme en lui, c'est que malgré son jeune âge, c'est un véritable dandy. Son éducation et son maintient ne sont jamais un corset l'entravant mais bien au contraire une armature souple qui lui confère une parfaite dignité en toutes circonstances. Lorsqu'il débarque dans mon cabinet, précis comme une Patek Philippe, c'est l'histoire des grands boulevards qui débarque. En le voyant on pourrait croire que le café Riche ou le Hardy sont encore ouverts et qu'on pourra y souper avec Barbey d'Aurévilly ou Lautréamont. 

Tous les mardis, j'ai donc rendez-vous avec le monde d'autrefois, celui que j'adore et qui s'étend de Napoléon III aux prémisses de la Grande guerre, ce que l'on a pu nommer la Belle époque. Je réponds bien sur à sa demande spécifique, qu'il m'est interdit de citer ici, mais nous papotons aussi de choses et autres en honnêtes hommes. Quel plaisir de rencontrer quelqu'un qui a beaucoup lu, beaucoup de livres qui me plaisent et a su les apprécier à leur juste valeur. Quelqu'un qui préfère enfin Proust au laborieux Céline dont on nous rebat sans cesse les oreilles. Qui apprécie la grâce et le talent à leur juste valeur en les préférant au lourd labeur de percheron.

Comme tout individu brillant, il possède quelques traits histrioniques qui le servent sans jamais le rendre insupportable, ou juste ce qu'il faut pour ennuyer les quidams moyens qui n'auront jamais ni l'intelligence ni la finesse pour apprécier le tableau qu'il me brosse de lui à chaque séance. Car le coquin sait se mettre en scène et il le fait bien. Bien que jeune, il est largement au niveau d'un Robert de Montesquiou ou d'un Edmond de Polignac. Les années passant, gageons qu'il aura dépassé un Boniface de Castellane !

Un jour que nous discutions de Dieu, il m'expliqua qu'il en avait assez de tous ceux qui ne savaient y penser que pour demander mais sans jamais Lui rendre grâce. C'est ainsi qu'il m'expliqua que pour vivre heureux, il s'était entrainé à saisir les petits moments de grâce qu'il pourrait vivre et en remercier Dieu.

Lors d'une séance, continuant sur, sur sa lancée, il m'expliqua en ces termes la singulière expérience qu'il venait de faire : "Je prenais un café dans un établissement près du Louvres tout en écoutant une chaconne pour luth de Robert de Visée. Lorsqu'avisant la pluie qui tombait, je pris conscience qu'elle marquait exactement le rythme de cette chaconne. Je rendis grâce à Dieu pour ce moment qu'il venait de me faire vivre et surtout pour m'avoir permis d'en prendre conscience".

Tout ceci pourrait sembler bien affecté et un fâcheux pourrait même décider que ce ne sont là qu'affèteries de vieille chatte, mais je suis persuadé du contraire. D'une part parce qu'il m'est agréable face à la vulgarité qu'offre notre monde de constater qu'il existe de rares individus capables d'être des traits-d'union avec ce qu'il offrit de meilleur voici un peu plus d'un siècle.

Et enfin parce que sous ses abords un peu précieux, la réflexion de mon marquis du mardi est sans doute la manière la plus simple et la plus saine de lutter contre la dépression. Plutôt qu'attendre, tendu à l’extrême, que le monde nous offre quelque chose d’extraordinaire, richesse, notarié ou que sais je encore, que l'on nous croit dû, être justement capable de se réjouir de ces minuscules moments de grâce qui ne coûtent rien et qu'on a trop tendance à ignorer !

Par ces quelques lignes, je rends donc grâce à mon jeune seigneur du mardi de me rappeler, moi qui ai vingt ans de plus que lui, à un peu de sagesse élémentaire. Ainsi, pour le remercier de m'avoir fait me souvenir de ce age principe, je lui ai offert un sympathique petit livre, qui s'il n'est pas une somme sur le dandysme; n'en est pas moins le vade-mecum que se doit de posséder tout dandy en herbe !


1 Comments:

Blogger cmosorchestra said...

Le mardi était le jour de la semaine préféré d'Henri Virlogeux!

25/4/18 7:19 PM  

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